CARLOS DI SARLI
El Señor del Tango
Dans un article précédent, il était question de Juan D'Arienzo "El Rey del Compas" ; de son style nerveux et rythmé. Dans cet article, je vous propose d'explorer le style diamétralement opposé de Carlos Di Sarli. Compositeur, pianiste, chef d'orchestre et arrangeur, ce maestro a su créer un style identifiable dès la première mesure et captiver les amoureux du Tango de toutes les générations.
1903 - La naissance de Carlos Di Sarli
Le 7 Janvier 1903 à Bahía Blanca, naît Cayetano, un futur prodige du Tango. Probablement influencé par ses frères musiciens, il se découvre une vocation pour la musique et plus particulièrement le piano. Chopin, Liszt, Debussy... autant de génies qu'il étudie pendant des années ...jusqu'à ce qu'il entende un Tango. Avec le temps, il se fait appeler Carlos, le prénom que nous connaissons tous aujourd'hui. A 20 ans, il accompagne son frère Nicolas à Buenos Aires, avec dans sa valise quelques rêves, beaucoup d'espoir, et une composition de 1919 : le tango "Meditación". Qui aurait cru qu'il serait enregistré 3 ans plus tard par Maglio, Canaro, Fresedo ?
1927 - La rencontre avec Osvaldo Fresedo
1927, Carlos rencontre Fresedo qui l'intègre dans son orchestre ; une chance pour le futur maestro ! Osvaldo Fresedo, déjà célèbre, dirige plusieurs formations. Il introduit le Tango dans les soirées chics avec son style propre ", délicat et mélodique, autant de caractéristiques qui influencent Di Sarli. L'intervention de Carlos dure 2 mois au Fénix et nos deux maestros se lient d'amitié, comme en témoigne le célèbre Tango Milonguero Viejo, composition de Di Sarli sous-titrée Fresedo ". A l'issue de cette collaboration, Di Sarli crée son propre sextet.
1928 - Les premiers enregistrements de Carlos Di Sarli
En 1928, il enregistre ses premiers tangos pour le label RCA Victor: T.B.C et La guitarrita. Le succès rencontré permet à ce sextet d'enregistrer jusqu'en 1931 et de multiplier les représentations au Folies Bergere, au Fenix, au théâtre Astral... Des chanteurs s'ajoutent : Roberto Deirene serait le 1er à avoir enregistré avec Di Sarli (Sos una Fiera - 1929), puis Santiago Devincenzi, Fernando Diaz et Ernesto Famá. En 1934, Di Sarli quitte la capitale tandis que son sextet continue de tourner sous le nom de "Sexteto Di Sarli", puis "Orquesta Típica Novel". A son retour en 1936, il reprend la tête de l'orchestre sans laisser d'enregistrement de cette période.
1939 - Di Sarli et l'âge d'or du tango
1939, l'Age d'Or du Tango ne pouvait se passer de Carlos Di Sarli !
Le tango est à la mode ; D'Arienzo a fait revenir les danseurs sur la piste. Di Sarli quant à lui débarque sur LR1 Radio El Mundo et au cabaret Moulin Rouge ; c'est le succès ! Le label RCA Victor le signe de nouveau ; après 8 années d'absence il retrouve les studios d'enregistrement avec une véritable formation typique constituée de 3 violons, 3 bandonéons, contrebasse et piano. Malgré un tempo accéléré - à la mode de cette époque - son style se défini clairement : mélodie, sonorité, accents, sans oublier le chant de Roberto Rufino... C'est durant cette période que vous trouverez ses tangos les plus rythmés, et la différence est d'autant plus notable que le style disarlien est normalement lent. Nous démarrons donc bien milonguero avec Rufino au chant dans Corazón (1939), En un beso la vida, Lo pasao pasó (1940), entre autres excellents instrumentaux.
Deux années de succès au Marabú et Radio El Mundo, et ça ne fait que commencer… Après le passage des chanteurs Rodriguez Lesende et Agustin Volpe, Carlos Acuña nous laisse un tango magnifique : Cuando el amor muere (août 1941), transition parfaite vers le véritable style du maître.
1942 - Un style mélodique
1941/1942, Di Sarli ralentit le tempo, les représentations s'ajoutent aux enregistrements pour RCA Victor, tandis qu'Alberto Podestá rejoint l'orchestre. Son tango s'étire et laisse place à l'émotion.
Si le succès d'El Rey Del Compás à bousculé le style des orchestres à la fin des années 30, El Señor del Tango apporte une dimension plus mélodique.
Les accents - garants du style milonguéro - restent présents, mais les phrases mélodiques prédominent dans Junto a tu corazón, Nido gaucho (1ère période Di Sarli-Podestá - 1942), La capilla blanca, Tú, el cielo y tú (2ème période - 1944).
1944 - Di Sarli et Jorge Duran
En 1944, Di Sarli découvre la voix grave et chaleureuse de Jorge Durán qui s'adapte parfaitement au style de l'orchestre, de plus en plus précis, élaboré, et mélancolique: Que no sepan las estrellas, Vieja luna, Tu íntimo secreto (1945), trois tangos évoquant l'amour, la mer et la lune. Par ailleurs, deux ans plus tôt, Rufino enregistrait une interprétation inoubliable d'Esta Noche de Luna: "Si un beso te doy, pecado no ha de ser, culpable es la noche, que incita querer". Après le départ de Durán, Podestá revient et enregistre 6 thèmes (1947), suivi de Oscar Serpa en 1948, avant que la terrible nouvelle ne tombe: Carlos Di Sarli se retire !
1951 - Le retour de Carlos Di Sarli
"Bienvenida a Carlos Di Sarli", émission de Radio El Mundo en mars 1951. La ferveur du public est à son comble quand - après 2 ans et demi de repos - El Señor del Tango revient au piano avec un grand orchestre composé de 6 violons et 5 bandonéons. Au chant, Oscar Serpa et Mario Pomar (rebaptisé par Di Sarli). El Señor del Tango est le 1er en Argentine à bénéficier (avec le label Music Hall) des nouvelles techniques d'enregistrement, sur bandes et en LP 33 tours. Le résultat en termes de qualité audio n'est pas encore optimum ; il y a une nette amélioration à partir de 1954 chez RCA Victor.
1956 - Quelques changements
En 1956, Di Sarli apprend la démission de la plupart de ces musiciens pour former l'orchestre "Los Señores del Tango" au style très similaire. Il doit alors repartir quasiment de zéro. Au chant, il fait appel à Argentino Ledesma et Rodolfo Galé, puis poursuit ses enregistrements pour la RCA Victor. La même année, ils sont remplacés par Jorge Durán (le retour) et Roberto Florio. Vous connaissez probablement Cantemos Corazón, Soñemos (1956), Destino de flor (1957), Adiós Corazón (1958), sans oublier le célèbre instrumental Bahia Blanca (1957/58).
1958 - Les derniers enregistrements de Di Sarli
1958, Di Sarli change de label et enregistre chez Philips ses derniers tangos. Au chant, Jorge Durán et Horacio Casares qui remplace Florio. En mauvaise santé, Carlos Di Sarli doit dissoudre son orchestre et se retirer. Nous sommes en 1959; il décède quelques mois plus tard.
Analyse du style de Carlos Di Sarli
Un style qui renferme ses mystères...
L'homme aux lunettes noires est probablement le plus mystérieux des chefs d'orchestres. Derrière l'apparente simplicité de ses arrangements se cache l'ajustement parfait des instruments, et c'est probablement ce qui lui permet d'obtenir cette sonorité unique, ou devrais-je dire magique. Ecoutons plus attentivement...
L'essentiel réside dans l'ensemble orchestral plus que dans les individualités, il vous sera donc difficile de trouver des solos. La structure générale des enregistrements est constituée de phrases rythmiques puis mélodiques qui alternent régulièrement. Au premier plan les violons portent la mélodie avec lyrisme, comme des vagues successives. Au second plan les bandonéons soutiennent la même phrase, parfois en jouant à peine pour que le dosage sonore soit parfait. Le reste du temps, ils marquent les accents dans les parties rythmiques.
Di Sarli au piano assure les transitions et relance l'ensemble de l'orchestre dans la prochaine phrase musicale qu'il ponctue de ses célèbres "cloches". Cet ornement délicat propre à Di Sarli est exécuté au piano en partant des graves vers les aigus. Vous pouvez le distinguer 3 mesures avant la fin de La Cumparsita de 1955 par exemple. Sa main gauche incomparable (les graves) marque le "compás" avec la contrebasse et fait résonner l'orchestre de toute sa profondeur. Voici quelques grandes caractéristiques d'un style dont le véritable secret se trouve dans l'émotion et qui invite à "abrazar y caminar".
Astuce pour reconnaître Di Sarli en milonga
- Pour reconnaître Carlos Di Sarli en milonga, il suffit de repérer...
- Les cloches de Di Sarli au piano, souvent en fin de phrase ou dans les transitions.
- Son style lyrique et sentimental avec les violons au premier plan.
- Son rythme lent, avec 2 accents forts par mesure.
- Le mélange ensorcelé bandonéons-violons jouant la mélodie ensemble.
- L'absence de solos en général.
- Son final: 1er accord avec tout l'orchestre, le second plus faible et brillant au piano.
Sinon, quand ça t'évoque tes premiers cours débutant...
Gregory Diaz
2012-05-01
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