Pourquoi les danseurs de tango cessent-ils de développer leur talent


Véronica Toumanova

Nous avons tous entendu dire qu’il faut 10 ans pour apprendre à marcher. Et pourtant, je ne vois qu'une minorité de danseurs qui continuent à travailler leurs compétences au delà d'un certain point. En tant que danseuse et enseignante je me demande naturellement "pourquoi ?".

Site Web: www.verotango.com

Véronica Toumanova
Traduction proposée par Gregory Diaz

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Pourquoi les danseurs de tango cessent-ils de développer leur talent

Danser le tango commence par un apprentissage. Le tango n’est pas une danse d’expression libre dans la mesure où il a un vocabulaire complexe et demande une technique plutôt sophistiquée. Il s’agit d’une compétence qui demande à être entretenue au fil du temps. Nous avons tous entendu dire qu’il « faut 10 ans pour commencer à savoir marcher ». Et pourtant, je vois qu’il n’y a qu’une minorité de gens qui continue travailler leurs compétences passé un certain point. En tant que danseuse et professeure je me demande naturellement « pourquoi ? ».

En général ce point de rupture arrive vers la troisième année. Selon les progrès que la personne aura fait alors, cela peut aller d’arrêter quelque part entre les niveaux « débutant confirmé » et « intermédiaire stabilisé ». Ceux qui ont le plus de persévérance vont atteindre un niveau plus avancé et s’arrêter au bout d’un ou deux ans supplémentaires. Rare sont ceux qui vont continuer à travailler leurs compétences au-delà d’un niveau réellement avancé.

Pourquoi s’améliorer en fait, pourriez-vous me demander ? On peut apprécier le tango sans réellement s’améliorer, quel que soit le niveau atteint. Le plus souvent il est plus facile d’apprécier le tango si vous n’êtes pas dans l’état d’esprit du « toujours mieux ». Vous êtes moins critique envers vous-même, moins réactif, moins concentré sur la comparaison avec les autres. Beaucoup de danseurs, quand ils arrivent finalement à danser avec tous les partenaires qu’ils souhaitaient, arrêtent de travailler leur art. Ils s’en tiennent à ce qu’ils considèrent comme le but à atteindre.

On peut comprendre que ce soit frustrant, pour les professeurs, de voir les gens arrêter d’apprendre, puisqu’ils cessent de fréquenter cours et ateliers. Un autre effet de cela est que les atelier « avancés » sont remplis de danseurs qui aimeraient être de ce niveau mais qui ne le sont pas. Pour les rares danseurs qui atteignent réellement le niveau avancé, c’est frustrant de voir les autres arrêter de travailler leurs compétences, car ils ont de moins en moins de gens de leur niveau avec qui danser avec bonheur. Nous pouvons voir le problème de la stagnation de niveau de compétences chez la majorité des danseurs de tango comme le problème de quelques « happy fews », les professionnels et ceux qui ont atteint un niveau élevé. Mais est-ce un problème en soi pour le tango ?

Cela ne serait pas tant un problème sauf pour un point. La plus grande souffrance dans le tango est de ne pas danser avec les personnes avec lesquelles vous désirez plus que tout danser, et qui sont dans la majorité des cas des personnes qui dansent mieux que vous. Améliorer votre danse afin de danser enfin avec les personnes désirées est sain et une excellente motivation. Cependant, si vous ne voyez l’apprentissage soutenu que comme un moyen d’obtenir quelque chose, un travail pénible, une routine ennuyeuse ou un exercice épuisant, vous n’allez bien sûr pas avoir envie de le faire. Et donc c’est comme un piège : vous voulez vous améliorer pour atteindre ce partenaire particulier, mais vous n’aimez pas le moyen nécessaire pour y arriver.

Ce que je vois chez les personnes qui continuent à travailler leur tango, c’est que cette amélioration est importante pour eux-mêmes. Les personnes qui continuent d’apprendre le font parce qu’elles aiment apprendre. Le philosophe Alan Watts disait : « Vous ne pouvez pas obtenir le plaisir dans la vie sans compétence, mais ce n’est pas déplaisant d’apprendre une compétence si avant tout le professeur vous fascine. Il y a un immense plaisir à apprendre comment faire n’importe quoi avec talent ». Quand vous dites que vous voulez continuer à vous améliorer mais ne faites pas le moindre effort en ce sens, cela signifie que vous avez perdu le plaisir d’apprendre.

Une partie de la responsabilité de ce plaisir appartient aux professeurs. Comme le souligne Watts, vous devriez être fasciné par le tango de votre professeur, cela suppose qu’eux-mêmes soient fascinés par la danse avant tout. Et même si un professeur est véritablement amoureux du tango, il/elle a besoin de développer des compétences d’enseignement qui vont montrer cet amour et vous le transmettre. Une chose qu’un professeur peut faire pour stimuler l’intérêt à prendre des cours, est d’être fascinant en tant que danseur. Pour cela les professeurs de tango ont besoin d’être des danseurs accomplis eux-mêmes, et en plus de développer une bonne réputation en tant que pédagogues. De bonnes aptitudes au marketing sont également utiles.

L’autre part de responsabilité vous incombe en tant qu’élève. Le professeur ne peut pas vous faire aimer apprendre pas plus qu’il ne peut vous faire danser. Le professeur peut seulement faciliter l’apprentissage en créant les bonnes conditions, mais ce sera à vous d’apprécier et de danser. Si vous laissez reposer la responsabilité totale d’éprouver du plaisir, en dansant, sur les épaules de votre professeur, alors vous êtes dans l’attente d’un amusement pas d’un enseignement. Si vous appréciez le tango et n’avez pas besoin de continuer à développer votre talent de danseur il n’y rien à redire. Vous devez juste accepter que ceux qui ont continué à s’améliorer ne danseront probablement pas avec vous.

Je vois beaucoup de danseurs qui se retrouvent dans la situation de vouloir danser avec des danseurs “meilleurs” qu’eux mais n’arrivent pas à réduire la différence de niveau de compétences. Ils ne progressent pas car ils ont perdu le plaisir d’apprendre, et ils l’ont perdu car ils ont cessé de croire qu’ils peuvent avoir un niveau de danse qui les rend désirable. Ils ont perdu confiance en tant qu’apprenants doués. Lorsque vous ne croyez pas que vous pouvez devenir un danseur intéressant pour quelqu’un d’autre, cela devient votre vérité et donc votre réalité. Vous pouvez accepter cela et avancer. Malheureusement, la plupart des gens ne peuvent l’accepter et préfèrent penser que les autres sont limites asociaux, peu amènes et ne les acceptent pas. C’est uniquement parce que cela vous met la pression de faire quelque chose que vous n’aimez pas faire : apprendre.

Vous voyez… que vous souhaitiez danser avec un danseur ou une danseuse accomplie(e) est un désir parfaitement naturel. Cependant, si votre investissement personnel dans le tango n’arrive pas à la hauteur des efforts que l’autre a fait pour acquérir ces compétences, vouloir prétendre l’inviter à danser avec vous est quelque peu présomptueux. Si vous pensez que cette personne devrait danser avec vous parce que vous avez tout un tas d’autres compétences à offrir indépendamment de votre talent dans le tango, vous êtes juste hypocrite. VOUS voulez danser avec cette personne avant tout pour son niveau. Il ou elle peut vouloir danser avec vous pour plein de raisons mais si ce n'est pas le cas, c'est sans doute une différence de niveau. La chose la moins intelligente à faire sera de considérer que cette personne est snob (si vous essuyez un refus, ndlt), car dans sa position vous feriez exactement la même chose. En fait vous faites déjà la même chose avec ceux ou celles avec qui vous ne souhaitez pas danser quand vous sentez une différence de niveau. Et à moins que vous ne fassiez vos premiers pas dans el tango, il y a toujours quelqu’un de votre niveau dans le coin. Si vous dansez avec tout le monde quel que soit leur niveau vous êtes ou un(e) débutant(e) ou une exception.

Vous pourriez dire qu’aller danser avec régularité permet en soi d’améliorer son tango, et jusqu’à un certain point cela est vrai. Cependant, que vous vous amélioriez ou non en allant simplement danser dépend essentiellement de ce que vous faites et de votre état de conscience alors que vous dansez. Si vous dansez de manière automatique, renforçant les schémas déjà en place, vous deviendrez… aussi bon que vous l’étiez déjà. Si vos schémas de base sont corrects, c’est ok. Si ils sont erronés, et que vous allez en conscience tendre à les modifier et les améliorer, vous avez une chance de progresser. En supposant que l’image mentale du but recherché soit correcte en termes d’efficacité et de justesse de mouvement, alors, oui, vous allez pouvoir encore progresser. Ce qui n’est pas évident. Imaginez que vous vouliez faire un voleo « plus haut », si votre image interne d’un tel voleo n’est pas suffisamment juste, alors vous allez simplement activer le mauvais réflexe et installer un mouvement erroné… risquant probablement de vous créer des tensions en des lieux du corps qui n’ont pas à être sollicités pour un tel voleo.

Pour améliorer votre tango, vous avez besoin d’une image mentale et kinesthésique correcte, précise, et beaucoup de pratique en conscience. Les cours et les professeurs sont là au départ pour vous offrir ces images, pour vous les faire comprendre en détail et découvrir la sensation exacte que votre corps doit ressentir, afin que ce nouveau mouvement s’installe dans le temps comme nouvelle habitude. Juste « comprendre » quelque chose n’amène pas de progrès, vous aurez toujours besoin de pratiquer et de garder pleine conscience de ce que vous faites.

Cela demande temps et détermination, et si vous n’en tirez aucun plaisir, vous ne le ferez pas. Quel est le moyen le plus simple de recouvrer votre plaisir d’apprendre ? D’une certaine manière c’est comme de sortir d’une dépression : pour apprécier la vie dans des domaines importantes, il vous faut commencer par apprécier de petites choses. Pour aimer apprendre, il vous fait ressentir que cela vous apporte quelque chose. Prenez un point de détail à améliorer et essayez de l’améliorer. En cours, avec votre partenaire, avec un ami qui a envie de pratiquer avec vous, pendant un cours privé avec un professeur capable de vous émerveiller, ou juste tout seul. Définissez un but précis, et trouvez l’exercice adapté. Validez le changement quand vous allez danser. Félicitez-vous pour le progrès quand vous le sentez. Quand vous remarquerez le résultat, vous noterez également un changement dans votre attitude face à l’effort de l’apprentissage et, plus important également, envers vous-même en tant qu’élève.

Nous sommes facilement découragés quand nous oublions l’importance de faire des petits pas. Nous regardons les autres et voyons ce qu’ils ont accompli et le chemin qu’il nous reste à parcourir. Et nous commençons à croire que nous n’y arriverons jamais. Le processus d’apprentissage peut être rendu agréable en trouvant le professeur qui vous convient, un partenaires de pratique qui vous motive, des lectures d’articles inspirantes, des danseurs fascinants à regarder. Mais le plaisir sera vraiment au rendez-vous quand vous réaliserez, encore et encore, que votre apprentissage porte des fruits. Quand vous savez cela: yes, YOU CAN !

 

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