Pourquoi la plupart des conseils qu’on vous donne sur votre danse sont faux
Il m’arrive qu’une ou un élève me demande durant un cours : « tu sais, j’ai dansé avec lui et il m’a dit que… » puis elle met en pratique ces retours, critiques ou conseils. Pour les guidés, les exemples les plus communs sont « tu mets trop de poids, sois plus légère », « tu perds l’équilibre, pose tes talons », « tu devrais résister davantage dans l’abrazo ». Pour les guideurs, il peut s’agir de « tu n’es pas en musique », « tu devrais utiliser davantage ton centre pour guider », « sois plus macho », etc… Mes élèves s’embrouillent de tels commentaires et me demandent ce qu’ils doivent faire. J’entends souvent ce genre de choses de la part des femmes, parce que j’ai plus de femmes en cours mais aussi parce qu’elles accordent beaucoup plus d’importance à ces remarques, laissant la critique affecter leur propre jugement. Elles osent facilement en parler avec leur professeur. Les guideurs préfèrent ne pas trop parler de ces critiques à moins que le problème ne devienne plus urgent.
Le tango est une danse de couple et il est important d’avoir conscience du ressenti que votre partenaire peut avoir par rapport à votre danse, et inversement, quel est votre propre ressenti concernant la danse de votre partenaire. Depuis toujours, nous pensons que nos partenaires sont les plus aptes à juger notre danse. C’est assez vrai, en particulier sous l’angle du facteur humain. En revanche, et même si ça peut paraître surprenant, les conseils qu’ils nous donnent sont souvent faux.
Vous pouvez analyser le mouvement selon 3 angles : le ressenti (intérieur), le paraître (extérieur), et le fonctionnement (la séquence, le pas). Quand quelque chose ne fonctionne pas dans le couple, vous vous en apercevez immédiatement car vous le RESSENTEZ. Vous qualifiez alors ce que vous avez senti comme une “erreur” si vous avez déjà ressenti quelque chose de plus agréable ou tout simplement si le mouvement est très inconfortable (tension, force, perte d’équilibre, absence de musicalité…). Il en va de même pour votre propre mouvement. Quand vous vous apercevez que quelque chose ne va pas, qu’il y a une « erreur », vous essayez par vous-même de reproduire une sensation, une forme qui vous paraît « correcte ». Lorsque c’est votre partenaire qui vous dit que tel ou tel mouvement n’est pas confortable, vous ne le ressentez pas encore comme une « erreur » et donc vous ne savez pas quel devrait être le ressenti « correct » pour ce mouvement. C’est là que vous avez besoin d’information de la part de votre partenaire, de vos propres sens et éventuellement d’un expert.
En pratiquant, vous évoluez dans un processus cyclique de compréhension : comment une action externe se traduit-elle en sensation interne ; comment modifier une action afin de créer une sensation interne différente. Connaître et décrire nos sensations internes est quelque chose que nous faisons plutôt bien car la danse développe notre sensibilité du mouvement et notre attention. Par contre, dire comment un mouvement devrait être ressenti dans l’idéal, comment il devrait paraître, quelle action externe conduira à telle ou telle sensation… Cela ne requiert pas uniquement de la sensibilité. Une certaine connaissance du mouvement biomécanique du tango est indispensable.
Imaginez un chef cuisinier. Il vous prépare un plat puis vous demande ce que vous en pensez. Vous pourriez répondre quelque chose du genre « je trouve que ça manque de saveur ». Maintenant, s’il vous demande « comment pourrais-je améliorer ce plat ? » et que vous n’avez aucune expérience en cuisine, vous pouvez répondre « hé ! C’est vous le chef cuisinier ! » ou bien faire des propositions hasardeuses. Dans la danse, vous trouverez également ces deux notions : la COMPETENCE permettant de faire quelque chose et l’EFFET qui en résulte. Manger dans plein de bons restaurants peut éventuellement faire de vous un bon critique, mais pas un expert cuisinier. De même, danser avec des tas de bons partenaires ne fait pas de vous un expert en tango, et encore moins en ce qui concerne le rôle opposé. Dommage… Mais vrai.
Il est donc indispensable de comprendre la différence entre UN RETOUR D’INFORMATION et un CONSEIL. Les retours d’informations permettent de dire à votre partenaire votre ressenti interne par rapport à sa danse. Un conseil lui dira quoi faire. Vous devez bien comprendre que vous dansez avec quelqu’un du rôle opposé, donc avec des compétences différentes. Votre retour d’information peut être très précis, mais à moins d’être un expert en tango (qui plus est dans le rôle de votre partenaire), votre conseil sera probablement erroné.
Un professeur compétent a suffisamment de connaissances dans les deux rôles, bien que l’un d’entre eux soit souvent plus développé que l’autre. Les cours avec un professeur du rôle opposé, portent généralement sur le ressenti. Avec un professeur du même rôle que vous, le cours portera davantage sur « quoi faire ». Les deux voies d’apprentissage sont très utiles. Par contre, il est toujours plus simple de suivre un conseil sur ce qu’il faut faire, plutôt que d’apprendre comment se mouvoir pour créer un sentiment particulier chez l’autre. C’est pourquoi les cours avec un professeur du rôle opposé peuvent parfois paraître confus, jusqu’à ce qu’on vous aide à « faire ».
Vous pouvez échanger avec votre partenaire de danse sur 4 niveaux. Le premier, le plus simple, est celui du PROBLEME : la sensation interne qui vous paraît inconfortable. Pour identifier un problème, il suffit en général de prêter attention à votre ressenti puis de les verbaliser avec une phrase qui commence par « je sens… ». Cependant, si vous restez trop vague dans ce genre de retour vous allez rapidement blesser votre partenaire ou créer chez lui une grande confusion. Si vous voulez que votre retour d’expérience soit compris, accepté et qu’il soit utile, soyez PRECIS. Dites exactement à votre partenaire quand, où et comment vous ressentez ce qui vous pose problème.
Le deuxième niveau est celui de la CAUSE : qu’est-ce que le partenaire a fait pour arriver au problème. Quand la femme sent qu’elle n’est plus en équilibre, cela peut venir de sa propre posture ou de son stress. Ca peut aussi venir de lui, s’il la pousse inconsciemment hors axe. Souvent, un problème chez l’un est le résultat d’un problème chez l’autre, donc avant de relever ce qui ne va pas chez votre partenaire, soyez prêts à surmonter tout ce qui ne va pas chez vous.
Troisième niveau, la SOLUTION, ou encore “ce que votre partenaire devrait faire”. La solution découle souvent de la cause. Comme parfois le problème vient d’une autre cause (quelque part), la solution peut également se trouver ailleurs. Notre mouvement est un processus complexe dans lequel plusieurs facteurs jouent un rôle et dépendent les uns des autres. Intégrer une solution dans votre mouvement est un processus qui prend toujours du temps.
Le quatrième niveau est l’EFFET désiré, c'est-à-dire la sensation produite par un mouvement ayant été perfectionné. Si vous êtes conscient d’un problème, c’est que vous avez certainement une vague idée de l’effet désiré. Sur les 4 niveaux - problème, cause, solution et effet – le premier et le dernier s’identifient en termes de sensations. Vous pouvez en parler sans connaissance technique approfondie, simplement à partir de vos expériences de danse. A l’inverse, identifier les causes et apporter des solutions requiert une réelle connaissance technique. Si vous n’êtes pas un expert et souhaitez progresser en pratiquant avec votre partenaire, essayez de parler, échanger autant que possible aux niveaux des problèmes et des effets désirés. Ne cédez pas à la tentation de conclure hâtivement en donnant des conseils. Demandez également l’avis d’un expert.
Comment réagir quand un danseur vous fait des commentaires sur votre danse ? N’essayez pas immédiatement de faire ce qu’il suggère. Demandez-vous d’abord : est-ce un retour d’expérience ou un conseil ? Si c’est un retour d’expérience, essayez d’obtenir des informations précises sur le problème. S’il ne vous apporte rien de plus précis, remerciez et passez à autre chose. S’il s’agit d’un conseil, demandez vous : cette personne a-t-elle suffisamment de connaissances dans votre rôle et dans la technique du tango en général pour vous donner un conseil correct ? Si la réponse est non, demandez à cette personne des retours d’expérience, qu’il/elle décrive son ressenti plutôt que de donner des conclusions. Si vous suivez aveuglément un mauvais conseil, vous pouvez finir par prendre de mauvaises habitudes qui seront difficiles à corriger ensuite. Intégrer de nouveaux mouvements à votre danse, c’est comme refaire l’électricité de la maison. Cela engendre des modifications de votre système nerveux. Ne le faites pas sans précautions.
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Véronica Toumanova
Traduction proposée par Gregory Diaz
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